Histoire de la CFAO >> LA CFAO EN AFRIQUE ANGLOPHONE
DES NEGOCIANTS FRANÇAIS A L’ASSAUT DES PLACES FORTES COMMERCIALES BRITANNIQUES : CFAO ET SCOA EN AFRIQUE OCCIDENTALE ANGLAISE PUIS ANGLOPHONE

Hubert Bonin, professeur d’histoire économique contemporaine à l’Institut d’études politiques de Bordeaux

Texte publié dans H. Bonin & M. Cahen (dir), Négoce blanc en Afrique noire, Publications de la Sfhom, 2000.

La puissance commerciale britannique est telle en Afrique noire anglaise qu’on à peine à imaginer que des sociétés de négoce françaises aient eu l’audace de venir provoquer leurs consoeurs en se frottant à leur concurrence au cœur même de leurs fiefs, notamment le Nigeria et le Ghana. Une croyance confinant à la fausse évidence conçoit d’ailleurs les entreprises françaises actives en Afrique comme bien représentatives d’un capitalisme malthusien et protectionniste, habile à tirer parti des chasses gardées de l’A.O.F. et de l’A.E.F., un capitalisme quasiment rentier, profitant de la ‘rente’ que procurerait une collecte des ‘produits’ à bon prix et l’exploitation de noirs trop prompts à leur acheter trop cher les ‘marchandises’ offertes dans les comptoirs et factoreries. Or, dans les colonies françaises elles-mêmes, la concurrence étrangère a percé, en particulier avec les filiales de la Royal Niger Company, de Lever puis d’Unilever (Compagnie du Niger français en 1913, Nosoco au Sénégal, C.F.C.I. en Côte-d’Ivoire) et quelques sociétés belges. Par ailleurs, on oublie trop que la convention de 1898 a proclamé l’aire nigérienne[1] « porte ouverte », un peu comme le Maroc : la Côte-d’Ivoire et le Nigeria échappent ainsi, de 1898 à 1932 (Commonwealth)/1936 (loi douanière française), aux barrières protectionnistes banales.

Surtout, le monde du négoce ‘impérial’ comporte bel et bien deux ensembles, deux états d’esprit : la majorité des sociétés se cantonne dans l’espace commercial français, telles les firmes bordelaises qui ont glissé du Sénégal à la Guinée et à la Côte-d’Ivoire, mais s’y sont arrêtées pour la plupart ; par contre, un autre bloc capitaliste accède à une autre dimension tant stratégique que financière, en s’immisçant dans les bastions britanniques. Il est vrai, la CFAO et la SCOA bénéficient de leur statut de société anonyme, de leur surface financière, de leur gestion non familiale, pour assumer des risques à la dimension de leur envergure. Mais elles auraient pu se satisfaire d’une domination aisée sur le monde du négoce franco-africain, alors que leur esprit d’entreprise les a portées vers les contrées britanniques.

Plusieurs questions simples surgissent : est-ce que la pénétration des sociétés de négoce françaises en Afrique occidentale anglaise puis anglophone s’est cantonnée dans une présence symbolique (‘faire acte de présence’ pour répondre aux offensives de leurs rivales en Afrique française) et dans un dispositif léger, destiné à n’être qu’un complément à l’organisation de base en Afrique française (puis francophone) ? Quelles sont les causes qui expliquent la définition d’une stratégie de déploiement et de renouvellement des axes de ce déploiement en Afrique occidentale anglaise puis anglophone ? Est-ce que les parts de marché des sociétés françaises ont été minuscules face aux ‘géants’ britanniques, telle l’U.A.C.[2] ?

Notre propos concernera essentiellement le Nigeria (pour toute la période d’étude) et la Gold Coast jusqu’à l’indépendance, car nous reconnaissons manque d’éléments à propos de la Sierra Leone, du Ghana depuis l’indépendance ; et nous ne ferons qu’une allusion à la Gambie, car ce territoire s’inscrit plus dans l’aire d’action des firmes dans l’Afrique occidentale ‘atlantique’, en parfaite complémentarité avec leur activité au Sénégal, en Casamance et même en Guinée. Les territoires plus ‘orientaux’ du golfe de Guinée constituent ainsi notre cœur d’analyse.

1. Les faits : l’expansion de la CFAO et de la SCOA en Afrique occidentale britannique

Malgré les barrières linguistiques, politiques, ‘impériales’ qui séparent les Afrique anglaise et française, les grandes maisons commerciales françaises viennent défier leurs consoeurs dans leurs bastions.

A. La force de la concurrence

Venir provoquer les concurrents britanniques semble téméraire : leur force et leur nombre sont tels que desserrer l’étau d’une telle concurrence paraît délicat. L’African Association, la Royal Niger Company (1883), Lever (qui acquiert Mac Iver en 1910), John Holt (1884), John Walkden, Ollivant, Miller, Paterson-Zochonis, Tangalakis (rachetée par Ollivant en 1918), peuvent dominer aisément les contrées sous influence anglaise. D’ailleurs, en 1884, les firmes françaises cèdent leurs établissements dans le Bas-Niger à la Royal Niger Company, car la conférence de Berlin légitime la domination anglaise dans le futur Nigeria : parmi elles, la Compagnie du Sénégal & de la Côte occidentale de l’Afrique (l’ancêtre de la CFAO), qui préfère ainsi se cantonner dans l’Afrique française.

« Lorsque nous avons commencé ces installations [dans le Bas-Niger], nous avions la certitude que ces fertiles régions ouvriraient à notre activité un champ d’opérations d’autant plus vaste et plus favorable qu’elles n’étaient exploitées que par deux compagnies européennes, l’une anglaise, la National African Company, l’autre française, la Compagnie de l’Afrique équatoriale. Nous étions de plus guidés par le désir d’ouvrir de nouveaux débouchés au commerce national et d’asseoir solidement l’influence française au Bas-Niger, au moment même où notre gouvernement tentait avec succès de relier à notre colonie du Sénégal le cours supérieur de ce fleuve. A ce point de vue, nous étions en droit d’espérer que notre gouvernement seconderait nos efforts, et nous insistions auprès de lui pour la création, à bref délai, ‘une ligne de bateaux à vapeur destinée à relier la France à tous les points principaux de la Côte, depuis le Sénégal jusqu’au Congo. Nous eussions été ainsi en état de lutter sans trop de désavantage avec nos concurrents anglais. En même temps, nous cherchions, dans un intérêt commun, à établir des accords permanents avec les deux compagnies dont nous venons de parler. Tous nos efforts ont échoué. Dans ces conditions, la lutte devenant chaque jour plus inégale et plus désastreuse, il a fallu abandonner le Niger […]. Nous déplorons amèrement, au point de vue du commerce français, d’avoir été obligés à cette retraite, surtout avant la réunion de la conférence de Berlin où, faute de l’existence d’intérêts français au Bas-Niger, notre gouvernement a été contraint d’abandonner à l’Angleterre la suprématie dans cette partie de l’Afrique, mais nous ne pouvions, sans soutien, sans espoir d’un meilleur avenir, continuer plus longtemps nos sacrifices au grand détriment de nos intérêts. » [3]

Cette ouverture de la compétition détermine l’environnement des compagnies françaises, confrontées à la percée des firmes anglaises dans plusieurs territoires français. En Afrique anglaise, elles doivent affronter une concurrence déterminée et solide, tant les sociétés britanniques sont puissantes : le groupe Lever en particulier se renforce grâce à une politique de croissance externe continue[4].

B. L’implantation des entreprises françaises

Pourtant, la CFAO[5], déjà présente en Gambie et en Sierra Leone (elle y a repris les affaires de sa prédécesseur, la C.S.C.O.A., elle-même successeur dans ce territoire des Etablissements Verminck), s’implante en Nigeria et en Gold Coast. Les ‘pionniers’ de la CFAO s’installent en éclaireurs à Lagos pendant la première décennie du 20e siècle. Une mission d’étude défriche le terrain en préalable à l’ouverture du comptoir de Lagos en novembre 1902. Le comptoir de Kano ouvre dès 1911, celui de Port-Harcourt en 1915 ; un sous-comptoir à Ibadan, quelques factoreries (Zaria en 1915). En Gold Coast, la CFAO s’installe en 1909 à Accra et à Coomassie (Kumasi), place commerciale au cœur du pays ashanti. Créée au début du xxe siècle (en 1907) et récupérant dans les années 1920 comme directeur général le responsable des affaires africaines de la CFAO, Duvernet, la Société commerciale de l’Ouest africain (SCOA)[6] devient un concurrent et un compagnon de route pour la CFAO.

Elle avait hérité en 1907 des établissements créés par ses fondateurs suisses, H.O. Ryff et W.F. Roth, jusqu’alors cadres de la CFAO, dans leur précédente entreprise, dès 1899, en Guinée mais aussi en Sierra Leone, où elle se renforce en 1907 par la reprise du comptoir de Stadelman à Freetown : elle s’établit en Gold Coast en 1913 (par la reprise de la firme Rottman) et au Nigeria en 1926 /1927 ; elle y reprend deux petites maisons, à Kano d’abord, puis à Zaria et à Lagos. Cette percée semble affaiblir d'abord la CFAO, quelque peu inquiète de cette compétition franco-française en terre anglaise : « En Gold Coast, cette société s’attache à importer, point par point, les mêmes articles que nous[7] »… Mais l’extension des marchés suffit à dégager de quoi combler les ambitions des deux consoeurs.

Le déploiement reprend dans les années 1920 car « il paraît hors de doute que c’est en Nigeria que nous avons, pour le moment, le plus à faire pour nous développer. Nous n’y avons que quatre comptoirs et une douzaine de factoreries[8] ». Le Centre-Est (Oshogbo en 1919), « la partie comprise entre la voie ferrée de Lagos à Kano et le Niger qui échappe à notre action, spécialement la région riche et peuplées que comprennent les provinces de Warri et Benin et la partie occidentale d’Onitsha » accueillent donc sous-comptoirs et factoreries (Warri en 1930, etc.), tout comme l’Est (Calabar en 1927). Cette implantation en Afrique anglaise se heurte à des difficultés dans les années 1922-1926, car la rétribution en francs des cadres de la CFAO les pénalise sérieusement avec la dépréciation du franc, d’où nombre de départs pour des firmes rivales. Mais la CFAO réussit à redresser la situation et à redevenir combative à partir du milieu des années 1920 grâce à une hausse des salaires et à des recrutements. Avec 176 organes de vente de toute sorte, l’Afrique anglaise fournit quatre des six premiers pays pour le nombre d’organes de vente en 1939, ce qui indique la persévérance de la CFAO dans la conduite de son déploiement international.

Réseau de la CFAO en 1939 (sur un total de 421 organes de vente dans 17 pays

Gold Coast
78 organes de vente
Sénégal
73 (avec les 23 de la Casamance)
Nigeria
47
Côte d’Ivoire
47
Gambie
30
Sierra Leone
21

Les comptoirs principaux sont consolidés et déploient tous les secteurs d’activité de l’entreprise. Au Nigeria, la CFAO mobilise ainsi une soixantaine d’Européens dans les années 1930, épaulés par des « indigènes lettrés » et bien sûr nombre de manœuvres non inscrits sur les registres des salariés.

Personnel de la CFAO hors de Lagos en 1929

Kano
11
Port-Harcourt
15
Calabar
7
total
33
personnel africain lettré
30

Personnel du comptoir de Lagos en 1936

Européens
23
Africains (permanents)
33

Le personnel européen du comptoir de Kano de la CFAO en 1924

marchandises générales
3
tissus
2

fancy shop

1
provisions
3
quincaillerie
1
5 factoreries
5 Européens et 27 Africains
total
Européens

Réseau de la SCOA en 1937

Sierra Leone
Freetown, Blama, Bo, Daru, Gerihum, Mabum, Mangué, Mano, Makene, Pendembu, Segbwena, Sherbro, Bemah, Manob, Mopalma, Sembehoon, Sumbuyah, Tomah, Yonnie
Nigeria
Lagos, Kano, Jos, Zaria, Port-Harcourt, Ibadan, Abeokuta, Abonema, Sokoto, Onitsha, Warri-Opobo
Gold Coast
Coomassie, Aboffo, Affiduasie, Bekwaï, Dentin, Ejura, Jamassie, Mampong, Nkawie, Offinsu, Seccondee, Akokerri, Dunkwa, Imbraïm, Opon-Valley, Salpond, Akim-Soadro, Amanfupong, Beseasse, Essikumah, Winnebah, Abodom, Akorosso, Duakwa, Kwanyako, Nyakromn Swedru, Accra, Koforidua, Mangoase, N’Sawam, N’Kawkaw, Tafo, Juasso, Konongo, Cape Coast Castle[9].

L’apogée du déploiement des firmes françaises est atteint dans les années 1950, comme pour toutes les sociétés et dans tous les territoires. La SCOA mobilise une centaine d’organes de vente (c’est le nom moderne des factoreries) secondaires (de taille modeste) au milieu des années 1950 (pour la collecte des produits, la vente de marchandises et la distribution de l’essence Mobil) – avant un premier repli de ce dispositif en 1956/1960. Les organes de vente de la CFAO sont au maximum en Afrique anglaise à la fin des années 1940, avant un repli dès la première moitié des années 1950 – à cause de fermetures de sous-factoreries ou boutiques dépendant des comptoirs de Lagos et Kano.

Organes de vente de la CFAO


Décembre 1948
Décembre 1952
Décembre 1954
Nigeria
56
55
39
Gold Coast
49
49
38
Sierra Leone
18
20
18
Gambie
27
31
31
TOTAL
150 soit 41 % du réseau de la CFAO (366 organes)
156 soit 39 % du réseau de la CFAO (396 organes, le maximum)
126 soit 38 % du réseau de la CFAO (328 organes)

Les effectifs des expatriés restent par conséquent imposants à cette époque, après une rapide reconstitution au lendemain de la guerre. « Comme partout ailleurs, le personnel européen de Gold Coast manque malheureusement d’un certain nombre d’unités anciennes ou d’ancienneté moyenne, lacune résultat du ‘trou’ des années de guerre. Derrière un noyau, tout de même assez bien pourvu, de collaborateurs expérimentés, vient un lot de jeunes d’un choix heureux, qui laisse beaucoup d’espoir pour l’avenir. Le plus difficile pour l’instant est de répartir les employés inexpérimentés au mieux du travail à assurer et surtout de ménager en même temps leur formation aussi bonne et rapide que l’exige notre réorganisation[10] » : ce désir de redémarrage et de réinvestissement humain prouve, si l’en était besoin, la pérennité de la stratégie de présence des firmes françaises en Afrique anglaise.

Expatriés travaillant pour la CFAO en Afrique


Janvier 1945
Janvier 1953
Nigeria
40
129 (derrière le Sénégal – 179 – mais devant la Côte d’Ivoire – 108.
Gold Coast
31
92
Sierra Leone
17
30

C. La diversification du déploiement

Dès l’entre-deux-guerres, mais surtout après la Seconde Guerre mondiale, le déploiement des sociétés françaises en Afrique anglaise (comme dans toute l’Afrique occidentale) se diversifie professionnellement.

a. Le négoce des marchandises générales

Le repli de l’activité de collecte des produits (dès 1946 au Ghana pour la SCOA, par exemple ; puis en 1960 pour le Nigeria) incite plus encore à suivre cette stratégie. L’activité Marchandises générales renforce encore ses positions au sein des deux maisons françaises, il est vrai déjà plus spécialistes de la vente des ‘marchandises’ que de la collecte des ‘produits’ au sein du système classique de la ‘traite’. Leur évolution est donc plus aisée que pour certains confrères bien enracinés dans les produits. En profitant de l’essor du commerce autochtone, elles développent leur fonction d’importateur-grossiste, notamment à partir du début des années 1950 (sous le nom de general trade pour la SCOA et, à la CFAO à partir de 1964, sous l’égide d’un département spécialisé, General Import. Chaque société, de façon banale, négocie sans cesse l’enrichissement de son portefeuilles de marque, en agent de firmes de produits alimentaires, boissons, etc. La SCOA dispose d’entités spécialisées par pays : Ucodir au Nigeria, Marimpex au Ghana, Adco en Sierra Leone. Mais, dans ce domaine, elle est moins forte que sa consoeur CFAO, pour qui c’est une activité de base jusqu’au début des années 1980 : elle mobilise en 1981 près de 500 salariés et 14 organes de vente, qui procurent à CFAO-Nigeria environ les 3/10 de ses recettes, en alimentant des demi-grossistes et des commerçants, beaucoup plus qu’une clientèle de particuliers, ce qui constitue le changement essentiel par rapport aux factoreries des années 1920/1950. La CFAO tente également de monter des supermarchés à l’européenne, en Gambie (deux supermarchés à Banjul), au Ghana (Multistores à Accra) et au Nigeria (Moloney à Lagos), que sa division General Import alimente.

Cette activité Marchandises générales se diversifie tant qu’elle se scinde en plusieurs tronçons. A la CFAO, une activité Mobilier se met en place, pour une clientèle d’entreprises mais aussi de particuliers, de même qu’une activité Matériel électroménager et audiovisuel. Mais l’activité textile constitue elle aussi l’un des socles de la CFAO en Afrique anglaise. Sa division spécialisée, Qualitex, est équipée de 8 organes de vente dans les années 1970/1980 et de 160 salariés.

b. Le boum du négoce technique

Le ‘négoce technique’ émerge dans les années 1920 puis se développe avec ampleur dans les années 1950/1970, avec des entités distribuant véhicules utilitaires, automobiles, matériel de chantier et de travaux publics, générateurs électriques, compresseurs, installations et matériel de climatisation, d’ascenseurs, etc. Les firmes obtiennent des groupes industriels une ‘carte de représentation’ et donc ‘l’agence’ pour leurs matériels. Dès l’entre-deux-guerres, la CFAO distribue ainsi les camions et engins International Harvester au Nigeria.

Toutefois, les années 1950 constituent le moment clé de l’essor de ces activités. Plus faiblement implantée dans l’activité General Trade que sa consoeur[11], la SCOA privilégie alors, au tournant des années 1950, le négoce technique pour étoffer son expansion : elle enclenche une politique d’agence professionnelle, de représentation de grands groupes de biens d’équipement, avec punch : elle obtient ainsi la carte du matériel de conditionnement d’air Westinghouse dès 1946, qui se développe avec ampleur avec la percée du ‘froid industriel’ et de la climatisation, d’où la création d’une entité de gestion spécialisée, à Lagos, IARD (avec 350 salariés au milieu des années 1970). En 1959, elle crée une entité spécifique, TECNOA, avec un entrepôt central à Lagos (et un entrepôt secondaire à Port-Harcourt), qui alimente le réseau de magasins techniques édifié à partir de 1950 à travers le pays[12] (vente de matériel électrique, de peintures, de matériels de bureau Burroughs, du matériel Westinghouse, etc.) ; ce réseau rassemble en 1961 une cinquantaine d’expatriés et quatre centaines de Nigérians, au terme d’une croissance rapide, qui se révèle d’ailleurs dispendieuse, d’où un resserrement du dispositif ensuite (avec 12 expatriés et 170 Africains en 1970), autour de deux entités, Equip Pro et (en 1974) Equip Home (pour l’ameublement et l’électroménager).

La SCOA met en place un réseau de distribution des voitures Peugeot au Nigeria dès 1952. A la CFAO, un poste d’agent marchandises-autos est institué dans ses comptoirs, tel celui de Lagos en 1954 (Eric Donald Hindley, promis à une belle carrière par la suite au Nigeria puis au Siège parisien). Des succursales spécialisées dans la distribution automobile se structurent, puis se multiplient : elles dépendent au Nigeria d’une filiale, CFAO-Motors (avec 750 salariés en 1981), qui distribue les camions Hentschel, puis des Nissan, qu’elle importe ou monte par elle-même à Lagos ; elle vend aussi les utilitaires Morris et Leyland, fabriqués par ce groupe sur place ; une autre filiale, dépendant d’une sous-société mère française du groupe, la CICA, consolide cette prospection commerciale pour les véhicules ou les engins utilitaires[13].

Une filiale spécifique est montée par la CFAO au Nigeria, Nigerian Motors Industries, en 1957/1958, à Lagos-Apapa, dotée d’une antenne à Kano en 1971, puis aussi en 1976 d’une filiale, Technical Equipment, munie de quatre succursales ; elle mobilise 236 salariés en 1972, puis 480 salariés en 1982 pour la vente de matériels destinés à l’industrie, aux chantiers, à l’agriculture. La SCOA dispose quant à elle de deux entités spécialisées, MOTORS et SCOA-TRAC (entité autonome à partir de 1975, pour : camions, engins de travaux publics, groupes électrogènes, etc., avec 600 salariés en 1976/1977, à Lagos, Kaduna, Port-Harcourt, Enugu, Ibadan) ; elle distribue depuis 1945 les camions petits et moyens d’Austin, puis des camions Mitsubishi et des engins Suzuki, ainsi que le matériel de travaux publics Allis-Chalmers puis Fiat-Allis (l’U.A.C. distribuant Caterpillar) à partir de 1969, ainsi que les engins de chantier Euclid, les compresseurs Ingersoll Rand, les générateurs et les moteurs diesel Cummins

La CFAO esquisse une évolution décisive pour l’avenir en prenant l’agence d’Otis, le grand fabricant américain d’ascenseurs, en particulier pour le Nigeria à partir de 1951 ; elle parvient à superviser l’entretien d’un parc de près de 500 ascenseurs au Nigeria au tournant des années 1980. Réfrigérateurs, matériel audiovisuel (avec la carte Sharp en Afrique occidentale anglophone à partir de 1959, par exemple), matériel électrique, matériel de bureau, percent alors, et l’Afrique occidentale anglophone n’échappe pas au mouvement. Des services financiers sont proposés, comme des ‘crédits spécialisés’ liés aux ventes de matériels et automobiles : en Afrique occidentale anglophone, la SCOA s’associe à la banque londonienne Hambros dans une filiale, Bentworth Finance. Des succursales vouées aux matériaux et petits matériels de construction sont mises sur pied, autour de l’entité Structor (avec 18 succursales au Nigeria à la fin des années 1970) et Structec pour la CFAO[14], ou de SCOA-Equipement et Equip-Pro (quincaillerie professionnelle) pour la SCOA.

Le réseau commercial classique est donc doublonné par un réseau de négoce technique spécialisé. Cette ‘révolution technique’ montre le passage rapide de ‘l’économie de traite’ classique au ‘négoce technique’ ; il faut former des cadres à cette culture industrielle et technique, recruter des techniciens et des ouvriers (pour l’installation puis le service après-vente) ; nouer des relations de partenariat avec les industriels fournisseurs. Une telle mutation permet de compenser le repli rapide et massif de l’activité Collecte de produits, au début des années 1960. Seul le marché des cuirs & peaux est entretenu tant par la SCOA que par la CFAO, au Nigeria. Ce négoce technique compense ensuite le plafonnement des activités de distribution textile de détail, quand les firmes se replient sur l’amont de la filière textile, le gros et le demi-gros, en laissant le détail aux distributeurs autochtones, comme au Ghana.

La réussite de cette ‘reconversion’ du portefeuille d’activités stratégiques est évidente en Afrique occidentale anglophone et surtout au Nigeria : CFAO-Nigeria rassemble en effet 5 700 salariés en 1981, soit 37 % de l’effectif de la CFAO en Afrique. Avec l’ensemble de ses filiales et de ses diverses entités, ce sont près de 9 000 salariés qui dépendant de la CFAO au Nigeria en 1985.

La CFAO au Nigeria au tout début des années 1980
CFAO-Nigeria CICA-Nigeria
(filiale, créée en 1980,
d’une autre entité du
groupe, la CICA)

CFAO-Motors Nigeria distribution Transcap Structor
750 Motors classique (transitaire)[15] (matériels)
Industry
(véhicules) (véhicules)

general import : biens de consommation
Qualitex: textiles
matériaux de construction

2. Les causes de la stratégie de déploiement

Cette stratégie de déploiement de réseaux commerciaux se justifie par les anticipations de débouchés et de profits, en bonne logique capitaliste. Au-delà des considérations patriotiques sur la mise en valeur de l’Empire, les entreprises françaises dynamiques ne peuvent se contenter des affaires des colonies françaises et doivent tirer parti des occasions offertes de plus en plus par les colonies britanniques.

A. L’Afrique anglaise, un premier eldorado

Dès l’origine, l’enjeu est clair : l’Afrique britannique est sur une sorte d’eldorado riche de promesses : « Les affaires y sont des plus difficiles, vu la forte concurrence qui existe, mais il paraît possible à une compagnie outillée comme l’est la nôtre de se créer avec le temps et par de persévérants efforts une place honorable dans cette colonie, qui paraît appelée à très grand avenir commercial[16]. » En outre, l’établissement des voies ferrées de Lagos au Niger (1909) et de Kano au Niger (1912) ouvre des perspectives de mise en valeur agricole et commerciale, puisque, à cette époque, le système des ‘escales’ le long des voies ferrées constitue un précieux levier de stimulation de la collecte et donc de la production des denrées locales. L’établissement d’un chemin de fer partant d’Accra vers le Nord (travaux à partir de 1909) ouvre là aussi des perspectives de croissance. Le boum des productions de ces contrées incite d’autant plus à venir participer à cette prospérité

Au début du 20e siècle, pour les firmes animées d’un esprit d’entreprise fort de sa faculté d’anticipation et de son ambition conquérante (de parts de marché, de bénéfices), le golfe de Guinée constitue un enjeu déterminant ; il leur semble offrir l’occasion de changer d’envergure, de passer de l’entreprise moyenne-grande à la grande entreprise, car les investissements à réaliser doivent déboucher sur des flux commerciaux substantiels – et des profits. La CFAO glisse ainsi du Sénégal et des ‘Rivières’ vers la Guinée en 1898 et vers la Côte-d’Ivoire, également en 1898. Ou la CFAO est condamnée à plafonner en se cantonnant dans l’Ouest africain, ou elle s’assure des chances d’accéder à une grande stature en prospectant le Centre-Ouest africain : « Les affaires ne sont pas faciles à Lagos, et nous allons au devant d’une assez sérieuse aventure. Il ne nous reste malheureusement d’autre choix que d’aller de l’avant ou de rendre l’argent [de diminuer le capital faute de pouvoir le rentabiliser], car je ne crois pas que de longtemps nous puissions trouver dans nos anciens comptoirs l’emploi de nos fonds disponibles, à moins de retourner au système des crédits […]. Je ne vous cache pas que cette nouvelle extension de nos affaires me cause une certaine appréciation, car nous serons entraînés fatalement à nous établir au Dahomey, au Togo peut-être, et ce sont en perspective de grandes régions et de sérieuses préoccupations. Malgré tout, je crois que notre destinée est d’aller de l’avant étant donné que nous avons les capitaux nécessaires[17]. » Les fonds propres de la CFAO atteignent 25,2 millions de francs en 1912.

Les années 1920 relancent les investissements, au Nigeria notamment, car « cette colonie a une population qui était en 1921 e 19 millions d’habitants, c’est-à-dire autant que toutes les colonies de l’Afrique occidentale réunies. Son mouvement commercial est en énorme développement et promet un essor encore plus considérable lorsque le programme des travaux en cours aura été réalisé[18]. » L’essor des productions de denrées (huile de palme et palmistes, mais de plus en plus le cacao, comme en Gold Coast) est tel que le pouvoir d’achat de ces contrées progresse énormément, ce qui stimule le désir d’y vendre des marchandises.

B. Le négoce français au cœur des exportations britanniques

Alors même que le Royaume-Uni est encore une grande puissance commerciale, donc avec une masse exceptionnelle d’exportations, la seule côte occidentale d’Afrique britannique absorbe un dixième des exportations anglaises en 1912/1913 – les ventes vers les autres contrées de cette Côte en représentant quant à elles entre 7 et 8 %. On conçoit alors que les négociants français aient voulu s’immiscer dans ces flux non pas tant d’un point de vue ‘africain’ ou ‘africano-anglais’, pour prendre une part aux exportations de l’Afrique vers la Grande-Bretagne, que d’un point de vue résolument ‘britannique’ ou ‘anglo-africain’, afin de conquérir des portions du marché des exportations de ‘marchandises’ anglaises, notamment des textiles.

Les firmes françaises disposaient déjà de solides têtes de pont en Angleterre, comme la CFAO avec ses succursales de Manchester et Liverpool, ou la SCOA avec sa succursale de Manchester, dirigée par Roth lui-même, l’un des deux co-patrons de la firme, dès sa création en 1907 (jusqu’à sa propre mort en 1915). Ces têtes de pont leur sont indispensables pour acquérir les productions britanniques exigées par le marché d’Afrique française : en 1897, par exemple, les deux tiers des importations effectuées par la Côte-d’Ivoire sont d’origine britannique, 14 % seulement d’origine française. Cette implantation outre-Manche leur procure une connaissance du commerce britannique qui ne peut que les aider si elles veulent mobiliser leur savoir-faire en essaimant de la Côte française à la Côte anglaise ; il leur suffit d’amplifier leur activité, en tirant parti de leur capital d’expérience préalable. De façon étonnante, on constate que la CFAO est une société de négoce autant anglaise (presque pour la moitié de ses achats en Europe) que française par le volume de ses achats outre-Manche (cotonnades, tabacs, charbon, etc.), et qu’elle est bel et bien une ‘société de négoce international’ !

Place où s’effectuent les commandes de marchandises de la CFAO en 1907 (en millions de francs)
Manchester
6,1
Liverpool
3,3
Marseille
5,7
Paris
3,5
Bordeaux
0,6

Cette interaction entre l’Angleterre et les colonies anglaises s’exprime notamment par le nomination de l’agent de la CFAO à Lagos, Deresse, comme Agent général en Angleterre dans les années 1920 (jusqu’en 1954). De façon anecdotique, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’insertion du Nigeria, de la Sierra Leone et de la Gold Coast dans l’aire des Alliés consolide plus encore les liens commerciaux avec la Grande-Bretagne ; Morelon, promu en août 1939 agent principal à Lagos puis devenu en novembre 1939 Inspecteur de tous les comptoirs africains, est nommé en mai 1940 délégué de la CFAO en Afrique, doté des pleins pouvoirs, épaulé à Lagos par Raoux, ancient agent principal au Nigeria, rappelé de sa retraite… Morelon devient d’ailleurs vice-président de l’Association des Français libres au Nigeria, tout comme Benoît-Barné, patron de la CFAO en Gold Coast, y devient représentant de la France libre. C’est le siège de Liverpool qui gère les comptoirs africains de la CFAO pendant la guerre, sous la houlette de l’Agent général en Angleterre, Deresse.

Dans l’après-guerre, les succursales anglaises restent la clé de voûte de la force commerciale des firmes de négoce actives en Afrique anglaise ; à la CFAO, celle de Manchester emploie 59 salariés en janvier 1955, celle de Liverpool 105 ; la firme envoie Galzy, un grand spécialiste de l’activité Tissus, prendre la tête de celle de Manchester (1950-1968) et il se fait l’animateur de l’apogée de la branche textile au sein du réseau africain. Mais l’activité Automobiles et matériels trouve elle aussi un relais britannique : un bureau d’achat pour les automobiles est installé à la succursale de Liverpool, un autre à Londres pour le matériel industriel, au début des années 1960, afin d’alimenter l’Afrique occidentale anglophone de façon compétitive par rapport notamment à l’U.A.C.

C. L’Afrique occidentale anglophone, un second eldorado à partir des années 1970

Si le Ghana du dictateur dirigiste Nkrumah s’engloutit dans un marasme qui ruine les bases remarquables qui faisait du pays l’un des fleurons de la Côte occidentale d’Afrique, la relative prospérité des productions rurales, puis le boum pétrolier (1973-1984) font du Nigeria un nouvel eldorado – malgré les affres de la guerre civile au Biafra au milieu des années 1960. Le lancement de grands chantiers d’équipement, la construction d’usines et de ports, d’immeubles de bureaux pour administrations et entreprises, d’hôpitaux, etc. ouvrent de multiples débouchés aux firmes de négoce, qui importent de nombreux équipements professionnels et en assurent souvent la maintenance. L’augmentation du nombre d’expatriés (sur les chantiers, dans les firmes de btp et de pétrole, etc.) et la constitution de strates sociales autochtones aisées dilatent le marché des biens de consommation qu’importent les négociants (pour les supermarchés ou boutiques plutôt ‘à l’européenne’) ; les réglementations protectionnistes permettent enfin de réduire quelque peu la pression concurrentielle et de maintenir les marges. Aucune société de négoce international spécialisée dans l’Afrique noire ne peut manquer cette aubaine !

Les effectifs de leurs cadres expatriés sont épaissis ; la SCOA-Nigeria se dote à Lagos d’un Siège neuf ; la structure des filiales poursuit sa diversification par métiers pour bien accompagner l’extension de chaque marché ; ainsi, la seule division Structor de la CFAO, spécialisée dans les matériaux de construction, réunit 400 salariés et 15 succursales en 1982. Si le Ghana et la Sierra Leone paraissent alors des débouchés modestes, le Nigeria suffit à lui seul à combler les espoirs de la CFAO et de la SCOA pendant les années 1973-1984. En outre, la surévaluation du naira, la monnaie locale, procure des recettes correctes après conversion en devises. Après une stabilisation en 1978-1979, les affaires de CFAO-Nigeria rebondissent grâce au second ‘choc pétrolier’ de 1979, et son chiffre d’affaires atteint 4,5 milliards de francs en 1982.

Augmentation du chiffre d’affaires de CFAO-Nigeria

En 1974-1975
35 %
En 1975-1976
60 %
En 1976 (changement de base comptable)
55 %
En 1977
24 %
En 1978
13 %
En 1979 (politique de stabilisation)
-7 %

Chiffre d’affaires de la SCOA-Nigeria (en millions de nairas)(la parité oscillant entre 6,5 et 8,5 francs)

1971/1972
47

 

1972/1973
65

 

1973/1974
85

 

1974/1975
126

 

1975/1976
196

 

1976/1977
258

 

1977/1978
292

 

1978/1979 (18 mois)
346

 

1979/1980
299

 

1980/1981
361

 

3. Les succès du déploiement commercial français en Afrique occidentale anglophone

Fortes de leurs implantations ramifiées et stimulées par des objectifs multiples, les sociétés françaises parviennent à se tailler une place au cœur des bastions de leurs rivales britanniques. C’est d’abord le résultat des efforts énergiques de quelques personnalités suffisamment fortes pour affronter non seulement les dures conditions de travail et de vie en Afrique tropicale à cette époque mais aussi les murailles immatérielles édifiées par les concurrents autour de leurs fiefs commerciaux.

A. Le rôle clé des dirigeants

Diriger le comptoir de la société dans un tel environnement de compétition – sans parler des conditions de travail et de vie courantes en Afrique noire – exige une certaine ‘trempe’ de caractère ; ces hommes sont souvent de fortes personnalités, aptes à mener les affaires et à mener le combat commercial, des ‘patrons’ à qui la firme confie un ‘fief’ à charge pour eux d’en faire un bastion de la puissance de vente française. Raoux (employé à Lagos dès 1908, second en 1912, agent du comptoir de Lagos en 1920, agent principal au Nigeria en 1927-1939), Durieu, agent principal en Gold Coast 1927-1932, quand lui succède Benoît-Barné, promu agent général en Gold Coast en 1933.

Du fait même de l’intensité de la concurrence, les implantations françaises en Afrique anglophone constituent une remarquable ‘université professionnelle’ pour les cadres des entreprises : ceux qui ont résisté au choc, prouvé leurs talents[19], se trouvent aguerris et aspirés souvent par une belle carrière ; ils y ont appris à non seulement les rudiments du métier mais surtout la capacité des initiatives puisque la culture d’entreprise de la CFAO parvient à concilier une organisation centralisée par des contrôles stricts et une large déconcentration des responsabilités courantes.

Deresse œuvre à Lagos en 1906-1914 et y devient ‘l’agent’ en 1912, Coquerelle commence comme employé au Nigeria dès 1912, puis devient responsable de la factorerie dépendant du comptoir d’Ibadan en 1921, chef des marchandises générales au comptoir d’Ibadan en 1922, agent à Ibadan en 1924-1928, cadre à Lagos en 1918 avant de glisser à Marseille en 1933 comme chef du service des produits. De grands dirigeants font leur classe en Afrique anglophone : c’est le cas de Léon Morelon, employé en Sierra Leone en 1923-1933, second à Kano en 1933-1937, agent principal à Lagos en 1939 (après un passage au Cameroun), futur président de la CFAO, Jacques Mullier, cadre débutant à Lagos et à Ibadan[20] dans les années 1940, lui aussi futur président de la CFAO ; c’est le cas enfin de Paul Paoli qui, après un séjour en Haute-Volta en 1948-1952, devient agent principal au Ghana en 1952-1957 puis agent principal au Nigeria en 1957-1965, avant d’entrer à la direction parisienne de la compagnie et d’y devenir plus tard lui aussi président… Autant que l’efficacité de l’organisation des centrales d’achat en Europe et que la fertilité de l’apport des fonds nécessaires aux investissements, cette autosélection de personnalités fortes et compétentes explique, à notre sens, la percée des entreprises françaises en Afrique occidentale anglophone.

B. Les parts de marché conquises par les firmes françaises

La vigueur de la concurrence et la moindre ampleur de l’implantation du réseau de distribution (et de collecte) expliquent que les parts de marché des sociétés françaises restent malgré tout modestes face aux rivales britanniques.

a. Les parts de marché pour les produits

Au Nigeria, la CFAO n’a pas établi tout un maillage de factoreries comme ses consoeurs, et elle préfère se concentrer sur un petit nombre de comptoirs trapus, surtout orientés vers la vente de marchandises, mais se cantonnant, pour les produits, dans des relations avec les ‘traitants’ semi-grossistes qui assurent la collecte et le rassemblement des produits pour le compte de la firme.

Données fragmentaires sur les parts de marché de la CFAO

Part dans le commerce au Nigeria

1919
4,6 %
1921
2,48
« Le petit nombre de nos factoreries ne nous permet de participer que pour une proportion relativement faible aux transactions si importantes de cette colonie[21]. »
1922
La CFAO assure 5,1 % du trafic d’exportation de cacao par le port de Lagos, 0,1 % pour les palmistes, 0,86 % pour l’huile de palme.
Part dans le commerce de Gold Coast dans les années 1920
1 % des exportations
6 à 8 % des importations
« Nous ne sommes installés que dans quatre à cinq points, alors que les achats se dont dans un très grand nombre de localités, par les soins de maison anciennement établies[22]. »

Alors qu’elle n’est jamais leader dans les contrées d’Afrique occidentale anglophone, la CFAO finit tout de même par accéder à une part de marché globale relativement importante : ses bureaux d’achat britanniques lui assurent un dixième des exportations britanniques de tissus vers la Côte d’Afrique occidentale anglaise :


Vers l’Afrique occidentale non anglaise
Vers l’Afrique occidentale anglaise
1912
8,24 %
10,48 %
1913
2,29 %
10,01 %

(les deux tiers des importations de textiles par la Côte d’Ivoire sont à cette époque ‘origine anglaise)

Comme partout, des ‘ententes’ stabilisent plus ou moins la compétition, pour des durées plus moins longues et pour des espaces plus ou moins grands : la CFAO obtient ainsi pendant la Première Guerre mondiale une part de marché de 6,5 % dans le district de Lagos et de 4 % pour l’ensemble du Nigeria, mais elle se dégage de l’entente dès 1919 et ne conclut plus désormais que des accords ponctuels pour l’achat de certains produits sur certaines places (Kano en 1924 pour les arachides, par exemple, où elle détient 7,5 % du cartel). Même pendant la crise des années 1930, les maisons ne parviennent pas à s’entendre entre elles au Nigeria. Pendant l’entre-deux-guerres, les firmes françaises doivent batailler seules le plus souvent, face à leurs rivales anglaises, parfois réunies (comme John Holt, Ollivant et l’A.E.T.C. ou l’U.A.C.) en une entente (‘combine’)[23].

L’activité Collecte des produits s’efface dans les années 1950/1960 ; la SCOA l’interrompt même au Ghana dès 1946, puis au Nigeria en 1965. Les deux firmes françaises entretiennent leur savoir-faire en développant une activité de collecte de peaux & cuirs, autour de Kano. La CFAO, qui a pris pied dans le négoce des peaux dans le nord du Nigeria[24] (dans l’immense zone d’élevage au niveau de Kano) dès les années 1930, échafaude une ‘filière-cuir’, suivie par la SCOA dans les années 1940, avec six centres collecteurs de cuirs et peaux et une quarantaine de salariés. La CFAO est si efficace qu’elle devient, dans les années 1960, le troisième exportateur de cuirs & peaux du Nigeria, grâce à son centre de stockage et de séchage de Kano, alimenté par une centaine de fournisseurs-sélecteurs et pourvoyeur de la clientèle britannique réunie par la succursale de Liverpool. La SCOA elle aussi garde jusqu’en 1980 une activité de collecte de peaux de chèvres, moutons et cuirs de bovins, avec 4,3 millions de pièces en 1975.

b. Les parts de marché pour les marchandises

Les savoir-faire des entreprises françaises s’affirment mieux dans le commerce des marchandises, car leur puissance d’achat en Europe (en Angleterre, tout spécialement, on l’a vu) et leur expérience leur permettent de tenir la dragée haute à nombre de rivales, d’autant plus que certaines d’entre elles (le groupe Unilever, en particulier) se préoccupent d’achats que de ventes. La diversité de la gamme et la force de vente de la CFAO expliquent ainsi qu’elle puisse détenir des parts de marché appréciables au Nigeria pour nombre de biens de consommation courante.

Part des importations par le port de Lagos pour chaque type de bien détenues en 1920 par le comptoir de la CFAO à Lagos
sucre
16,55 %
vins
16,51 %
fils
12,26 %
bière et cidre
9,74 %
habillement
8,79 %
kérosène et essence
8,59 %
montres
7,82 %
denrées alimentaires courantes
7,67 %
tabac brut
7,66 %
gin, brandy, whisky
5,43 %
perles
5,26 %
ustensiles de ménage
5,26 %
moyenne des importations effectuées par la CFAO
3,51 %

« Dans les colonies anglaises, où nous avons naturellement à subir une concurrence plus active et mieux avertie, notre situation est loin d’être la même [qu’au Sénégal et au Soudan], et nous ne devons pas trop nous étonner, tout en recherchant à améliorer notre pourcentage d’affaires[25]. » L’un des points forts de la CFAO est constitué par les ventes de tissus, qui pèsent six fois plus à Lagos en 1921-1922 que ses ventes en ‘fancy shop’ (les biens de consommation usuels[26]).

Part de la CFAO dans les exportations textiles britanniques vers l’Afrique occidentale anglophone (en yardage)
1912
10,48 %

 

1919
3,46 %

 

1923
6,9 %

 

Part de la CFAO dans les expéditions britanniques de cotonnades en 1920

Vers la Sierra Leone
13,3 %
Vers le Nigeria
3,6 %
Vers la Gold Coast
5,1 %
La part de la CFAO dans les expéditions vers l’Afrique occidentale française dépasse les 20 %

Dans les années 1960, la CFAO reste puissante dans les ventes de produits textiles, grâce au savoir-faire accumulés par son service Tissus (nommé Qualitex en 1964), mais, on l’a vu, en donnant la priorité aux activités de grossiste aux dépens des ventes de détail. Une estimation place la CFAO au second rang au Nigeria, derrière les deux entités du groupe U.A.C., U.A.C.-Textiles et Gottschalck : CFAO-Qualitex est en particulier solide sur le plus gros marché textile d’Afrique de l’Ouest à cette époque, celui d’Onitsha. Enfin, nous ne disposons pas de statistiques permettant d’évaluer les parts de marché dans le commerce de gros des marchandises générales.

C. Les parts de marché pour le négoce technique

Comme dans toutes les contrées de l’entre-deux-guerres, les firmes françaises déploient en Afrique occidentale anglophone leurs récents savoir-faire en ‘négoce technique’, la vente et l’entretien de matériels de construction, de transport, de travaux publics. La priorité va alors à la diffusion de l’automobile. De façon pionnière, la CFAO conclut un accord avec Ford pour obtenir son agence en Afrique noire française ; mais, en Afrique occidentale anglophone, ses concurrentes détiennent la ‘carte’ de constructeurs renommés et la tentative esquissée en 1925 pour vendre des camions Renault au Nigeria échoue. En Afrique occidentale anglophone, le domaine automobile ne lui procure alors de véritable occasion d’intervention que dans la distribution d’essence, en Gambie et au Nigeria, où elle déploie l’enseigne Texaco dont elle a l’agence ; mais ses ventes nigérianes plafonnent en raison du punch de la concurrence et de la moindre compétitivité des prix (et même, semble-t-il parfois, de la qualité) Texaco (face notamment à Shell). La part de marché de la CFAO s’effrite : sur Lagos même, de 13,1 % pour le pétrole et 15,2 % pour l’essence en 1924 à 5,9 % et 0,95 % en 1926 ; pour les produits pétroliers, son poids est modeste en Afrique occidentale anglophone en 1928 : 1,3 % au Nigeria, 5,2 % en Gold Coast, 8,5 % en Sierra Leone.

Les éléments statistiques manquent pour évaluer les parts de marché dans les années 1970/1980. Les ‘géants’ anglais dominent l’économie du négoce européen actif au Nigeria ; mais les firmes françaises disposent de quelques ‘cartes’ solides et d’agences efficaces, et elles parviennent bien à maîtriser non seulement la distribution mais aussi l’installation et la maintenance, donc à acquérir des savoir-faire de prestations de services qui débouchent sur plus de valeur ajoutée et sur une image de marque propice à l’élargissement du portefeuille-clients. La CFAO vient ainsi au premier rang pour l’installation d’ascenseurs au Nigeria ; elle se situe au second rang pour la vente de matériel de reprographie, grâce à la marque Sharp, derrière Xerox ; mais la SCOA a conquis une belle part de marché pour le matériel Froid (marque Westinghouse), avec 31 % en 1964.

Pour l’activité Automobiles, la SCOA s’est conquise une bonne part de marcé dans un premier temps, puisqu’elle est passée de 21 % des ventes nigérianes en 1964 à 31 % en 1967 ; mais il semble qu’elle ait perdu pied (14 % en 1970), certainement en raison de la poussée de la concurrence, de nouvelles marques et de la perte de l’exclusivité Peugeot, qu’elle détient depuis 1953. Elle doit batailler pour relancer ses équipes commerciales, et, dans les années 1970, elle serait le premier distributeur d’automobiles au Nigeria, devant même l’U.A.C. Ses ventes augmentent de 7 000 véhicules Peugeot en 1974/1975 (alors la totalité des Peugeot vendues au Nigeria) et de 2 900 véhicules issus de son atelier de montage de Lagos-Apapa à 26 700 voitures Peugeot en 1980/1981 (sur 82 000 Peugeot vendues au Nigeria) et à 6 900 véhicules assemblés à Apapa, et même à 29 600 Peugeot en 1981/1982 et 10 600 véhicules d’Apapa. La CFAO, quant à elle, contre-attaque, mais la multiplicité des intervenants explique que sa filiale CFAO-Motors vende 11 000 véhicules en 1981.

4. Négoce et contribution au développement

Les sociétés de négoce ne peuvent plus apparaître seulement comme des outils d’animation de flux commerciaux entre l’Afrique noire et l’Europe (ou de plus en plus, d’autres continents, comme l’Asie). A partir des années 1930/1950, leur contribution au ‘développement’, à la constitution de bases solides pour la formation ‘d’élites’ africaines et pour l’édification d’unités de production industrielles, prend corps.

A. Négoce et africanisation du personnel

La formation de personnel africain nous paraît le socle d’une contribution à toute forme de développement. Or des pratiques d’africanisation prennent corps relativement tôt au sein des firmes françaises ; on peut penser que leur activité en Afrique anglophone et tout le long du golfe (Dahomey, Togo, en particulier) les ont mises en liaison avec des communautés africaines ouvertes à l’alphabétisation (rôle des missions, etc.). Quoi qu’il en soit, ces sociétés françaises ne se montrent pas rétrogrades et assurent désormais la formation courante et une certaine (mais encore modeste) promotion de premières strates ‘d’élites ‘africaines. Dès 1914, la CFAO rassemble en Afrique 250 Africains (hors traitants et manœuvres) pour 298 Européens.

Le comptoir de Lagos de la CFAO emploie en 1912 douze indigènes ‘lettrés’, « de bons commis » ; parmi eux, un chef magasinier et son aide, un responsable des expéditions à la boutique, un acheteur de produits à Ibadan, un responsable des travaux c’écriture au service des tissus, un autre qui assure la « copie des prix de revient et des circulaires, très intelligent, le meilleur de nos employés indigènes ». Le comptoir de la CFAO à Port-Harcourt en 1930 réunit 21 indigènes lettrés, tous originaires du Nigeria, sauf deux de Gold Coast et 2 de Sierra Leone :
Ø 7 gérants de boutiques autonomes ou annexes
Ø des teneurs de livres
Ø des teneurs de caisse
Ø 1 dactylo
Ø 1 magasinier
Ø 1 responsable des douanes
Ø 1 responsable des produits
Ø 1 responsable des expéditions en gare
Ø 1 responsable de la réception à l’entrepôt

Bien entendu, cette africanisation reste cantonnée dans des postes de responsabilité moyenne, mais, à son échelle, elle constitue un outil de mobilité sociale ascendante. Les autochtones en profitent, mais aussi des Noirs venus d’autres contrées : « Togolais et Dahoméens étaient beaucoup plus cultivés. Ils s’expatriaient dans les autres pays de l’A.O.F. comme cadres administratifs. Au Nigeria aussi, beaucoup de Dahoméens travaillaient comme employés. Ils étaient beaucoup plus évolués pour la perception des choses. Cela tenait à leur formation. Au Ghana, au Togo, au Dahomey, ce sont des ethnies beaucoup plus proches de nous, beaucoup plus près du monde occidental[27] », précise un témoin.

Cela dit, cette africanisation ne prend d’ampleur qu’au tournant des années 1960, et la masse des salariés africains correspond à des emplois situés dans les catégories inférieures ou moyennes de la hiérarchie professionnelle. Mais les retombées sociales de l’emploi procuré par les sociétés sont importantes par le processus classique de diffusion élargie du revenu par le salarié ; or les effectifs en cause sont élevés, puisque la seule CFAO rassemble en Afrique occidentale anglophone entre 4 500 et 4 600 salariés noirs en 1952-1954 (contre 5 900 à 6 300 en Afrique francophone) ; en janvier 1953, elle réunit 2 089 Noirs en Gold Coast, 1 900 au Nigeria – devant donc le Sénégal (1 525) et la Côte d’Ivoire (1 377) - et 538 en Sierra Leone.

La marche vers l’indépendance justifie une accélération du processus d’africanisation. La diversification des firmes vers le négoce technique leur impose de toute façon la formation de nombreux salariés pour animer les activités d’installation, de montage, de maintenance ; des Africains sont envoyés par exemple se former chez British Leyland avant d’occuper des emplois de rang moyen-supérieur dans les garages et ateliers de la CFAO nigériane. Un centre de formation ouvre au Ghana pour l’apprentissage de mécaniciens automobiles ; dans les années 1960, la SCOA elle aussi crée un centre pilote de formation technique pour les Africains de sa branche Automobiles.

L’élévation du niveau de responsabilité des Africains constitue l’enjeu des années 1960/1970. La gestion de l’activité Biens de consommation ouvre des occasions multiples de promotion car les seuils d’accès techniques y sont relativement bas, ce qui explique la nomination d’Africains à la tête de départements de ‘marchandises générales ‘ (‘general import’ en Afrique occidentale anglophone). Les postes de comptabilité fournissent une filière privilégiée pour la mobilité sociale ascendante des Africains au sein des firmes commerciales.

O.E. Olokun, entré à la CFAO comme acheteur de produits, devenu commis de factorerie en 1938-1952, est promu gérant de factorerie en 1952-1960 : il supervise alors 5 salariés directs et les gérants de 14 sous-factoreries ; en 1962, on le nomme ‘inspecteur produits’ pour l’ensemble du Nigeria –il est vrai peu avant l’arrêt de cette activité par suite de son transfert aux marketing boards. Il remplace à ce poste J.T. Okuneye, qui a commencé comme comptable avant de devenir produce manager en 1957 (jusqu’en 1962 donc), poste occupé pour la première fois par un autochtone : il supervise les expatriés encore en fonctions dans les comptoirs et factoreries de l’intérieur nigérian ; la firme le promeut responsable du département Texaco pour l’ensemble du Nigeria en 1962-1965, à la suite d’un Européen, avant qu’il devienne secrétaire général du département Automobiles nigérian entre 1965 et 1980.
F.I. Uthman, comptable de la CFAO au Nigeria en 1947-1958, devient en 1958 chef comptable au département Automobiles de Lagos, en remplacement d’un Européen. Molade Ikintola Okoya-Thomas, le fils d’un Nigérian salarié de la CFAO pendant 52 ans au services Marchandises générales de Lagos, entre lui aussi à la CFAO après des études de comptabilité en Angleterre ; il devient comptable, puis en 1963 co-gérant du service General Import, en succédant à un expatrié ; après diverses fonctions successives, ses qualités expliquent sa nomination au poste de directeur des relations extérieures de CFAO-Nigeria en 1972, puis à celui de directeur du personnel (1974-1978). Il devient plus tard directeur général adjoint de cette filiale, avant d’en devenir le président dans les années 1990.

Faute d’une étude sociologique précise, on ne peut que se contenter de quelques indices pour suggérer un relatif courant d’africanisation des postes de responsabilité dans les années 1970/1980. A.A. Hassan devient ainsi directeur général de l’activité General Import à Lagos-Ouest ; B.R. Amoussa, directeur général de l’activité Trading au Nigeria, prend la tête du supermarché Moloney à Lagos, tandis que Alhajo a Kalah devient en 1979 patron du General Import de Kano, après onze ans de société. De nombreux cadres techniques et gestionnaires sont recrutés localement pendant le boum commercial qui exige de nombreuses embauches. L’organisation de la CFAO et de la SCOA au Nigeria ne pourraient vivre sans ces cadres moyens et moyens-supérieurs d’origine africaine, tel le numéro 2 de CFAO-Motors à Lagos.
Enfin, si les présidents nigérians sont surtout des notabilités locales (G.O. Onosode en 1978-1983 et A.A. Ayida son successeur, à CFAO-Nigeria, par exemple), un véritable manageur africain de haut rang est promu comme numéro deux exécutif de CFAO-Nigeria, M.I. Okoya-Thomas, en 1978 : ‘Chief Thomas’ symbolise alors cette osmose entre compétences européennes et compétences africaines.

B. Négoce et industrialisation ?

Sans entrer dans le débat récurrent sur le rôle des firmes de négoce dans l’industrialisation africaine (retard ou stimulation), quelques repères peuvent être précisés pour jalonner les points de contact du négoce avec les efforts d’industrialisation.

La transformation de matières premières est le premier aspect de l’intervention des négociants dans des pratiques semi-industrielles et industrielles. En aval de la collecte des cuirs et peaux, les firmes s’impliquent dans la préparation des peaux et même la tannerie : la CFAO anime ainsi à partir de 1976 une firme, Intertan, installée à Kano (avec 200 salariés), qui exporte ensuite ses peaux tannées ou les livre aux transformateurs locaux (chaussures, etc.). La SCOA monte parallèlement en 1972/1974 la Tannerie du Nord, Tanarewa (avec une participation de 40 %), qui travaille les peaux pour les commerçants exportateurs (jusqu’en 1978) puis pour le marché local.

Le désir de soutenir le mouvement d’extension de la consommation de base en Afrique et de pouvoir y distribuer des produits à prix compétitifs incite les sociétés à s’impliquer dans la création d’usines sur place. La CFAO (par une prise de participation de 8 % dans le capital) et la SCOA (3,5 %) accompagnent ainsi la création des Nigerian Breweries[28] en 1946, en association avec ses collègues du négoce au Nigeria et avec la firme Heineken : cet engagement, aussi symbolique soit-il, indique que la société traite l’Afrique occidentale anglophone avec la même volonté que celle déployée en Afrique française, où elle participe également à plusieurs entreprises industrielles, grâce aux initiatives et au suivi confiées à son Service industriel créé en 1942. La SCOA quant à elle est présenté dans deux autres brasseries, au Ghana (4 % en 1955) et en Sierra Leone (5,5 %), aux côtés de Heineken et d’Unilever.

De plus en plus, dans toute l’Afrique, les firmes européens s’impliquent dans des investissements ponctuels, dispersés car décidés en fonction d’occasions exceptionnelles pour chacun, mais dont l’assemblage finit par constituer un mouvement de pré-industrialisation imposant, grâce à une injection de capitaux et de technologies. La CFAO s’allie ainsi en 1968/1969 à la société japonaise Teijin afin de fabriquer sur place des tissus qu’elle importe par le biais de la sogo sosha C. Itoh : l’usine Nigerian Teijin Textiles (NTT) naît donc en 1971 à Lagos-Ikeja, avec 220 métiers à tisser et 700 ouvriers encadrés par 30 techniciens japonais (tissage polyester/viscose), et la CFAO en prend 31,2 % ; NTT lance ensuite une filature, avec 10 000 broches en 1974 ; elle devient la plus grosse usine textile de toute l’Afrique occidentale[29]. La CFAO prend une modeste participation (7,15 %) dans une usine de filature et tissage de la General Cotton Mills à Onitsha en 1973 ; et elle entre en 1974 dans une firme déjà en place[30], Northern Textile Manufacturers (40 %), à Kano, qui travaille (cardage, filature, tissage) des déchets de coton collectés dans les usines textiles nigérianes pour fabriquer des couvertures[31] : son usine emploie 1 600 à 1 700 salariés en 1977. En 1976, la CFAO s’implique dans la fabrication de filets de pêche avec l’usine nigériane Ninetco. Le négociant apporte une relative garantie de débouchés à ces usines, car il s’engage à leur acheter une partie plus ou moins constante de leur production ; et son implication commerciale et capitalistique consolide le ‘crédit’ de ces sociétés, encore bien frêles, auprès des autorités, des banquiers, des fournisseurs.

Parallèlement, les sociétés s’impliquent en amont dans la filière Automobile. Elles participent au lancement d’usines de montage : dès 1958, la CFAO lance Ghana Motors Industries pour assembler des véhicules British Leyland, International Harvester, Saviem, puis des Renault 4 à partir de 1973/1974. La SCOA installe dès 1954 une ligne de montage de véhicules utilitaires Peugeot à Lagos-Apapa, qui entreprend avec succès l’assemblage des 404 pick up, notamment. La CFAO mobilise quant à elle sa filiale Nigerian Motors Industries, mise en route en 1966, avec 150 ouvriers, pour monter 1 400 véhicules par an ; elle dispose aussi à partir de 1974 d’une ligne de montage de camions Nissan à Lagos.

Animatrice d’une filière Plastiques en Afrique, la CFAO détient la licence Bic. L’Afrique occidentale anglophone bénéficie elle aussi de ses investissements (légers, en fait) avec la Nigerian ball point pens industries (Nipen) en 1972/1974 (130 salariés) ; l’usine est doublée en 1978 (avec une capacité de production de 60 millions de stylos par an) et se lance aussi dans la fabrication de casiers de bouteilles. La CFAO achète également, en 1974/1975, au Ghana la société Pens & Plastics à une firme allemande. Déjà bien implantée dans la filière Cycles en Afrique francophone, la CFAO l’étend au Nigeria avec une usine de montage mise en route en 1977/1980, au sein de la firme Twin (200 salariés en 1982)[32]. L’industrie de biens de consommation englobe aussi les parfums, avec l’usine Depi ouverte par la CFAO en 1967 à Kano, pour des parfums destinés aux populations musulmanes (avec 200 salariés en 1977). La CFAO achète en 1968 l’usine Passat, qui fabrique des chaussures de cuir (100 000 paires en 1974) et des sandales (380 000 paires), en aval de la filière Cuirs & peaux qu’elle entretient ; Passat[33] devient le second producteur nigérian au début des années 1980 (avec 600 salariés, produisant 1,8 million de chaussures en 1981). Enfin, pour alimenter les ventes de tôles ondulées pour habitation, la CFAO, la sogo sosha japonaise C. Itoh et un sidérurgiste nippon créent en 1961 Galvanizing Industries, dont l’usine de Lagos-Ikeja transforme à partir de 1964 les tôles importées du Japon en tôles, par galvanisation puis ondulation (26 000 tonnes livrées en 1974). La firme devient le premier producteur de tôles nigérian en 1982 (capacité de production de 70 000 tonnes) avec 400 salariés.

La SCOA mène une politique industrielle plus réservée, avec 10 % dans une usine de chaussures en 1962 - 1966, dans Nigerian Engineering Works, qui assemble des climatiseurs (entre 1965 et 1977), dans l’atelier Agbara Plastics (flaconnage) en 1980 (100 %) ; elle ne s’engage pas dans la filière textile ni dans la filière Cycles ; on peut penser que l’ampleur de ses investissements dans le négoce technique semble avoir épuisé ses disponibilités, d’autant plus que le groupe SCOA ne bénéficie pas alors de la même solidité financière que la CFAO.

Accumuler de tels faits ne suffit pas à démontrer une contribution décisive au ‘développement’ ; mais le puzzle de la semi-industrialisation africaine se densifie grâce à de telles initiatives. Les sociétés de négoce détectent des potentiels de demandes en biens de consommation ou en semi-produits (tôles), constatent la constitution de marchés suffisants, assurent une relative garantie de débouchés, élargissent leur fonds de commerce en diversifiant leur gamme et en abaissant les prix grâce à des fabrications sur place (pour des productions relativement simples techniquement, qui n’exigent pas d’énormes mises de fonds et un niveau de formation trop élevé pour les noirs à recruter. Si, en 1973/1975, la SCOA prend 5 % dans la filiale que crée Peugeot au Nigeria pour monter des voitures à Kano, c’est bien pour mettre en valeur sa légitimité de distributeur Peugeot dans le pays depuis deux décennies. En outre, certaines prises de participation ou l’augmentation de ces participations s’expliquent par le désir des autorités locales de voir les firmes étrangères réinvestir une partie de leurs gains dans l’économie du pays ; ces initiatives et ces investissements ne sont pas toujours par conséquent spontanés : la moitié des sommes obtenues par la CFAO dans la nigérianisation de sa filiale CFAO-Nigeria doit ainsi être réinvestie sur place (d’où l’achat d’actions N.T.M., Intertan et la création de Nipen).

Quoi qu’il en soit et sur une période d’une trentaine d’années, les firmes françaises ne négligent pas des interventions industrielles en direct en Afrique occidentale anglophone, aux côtés de leurs consoeurs d’origine britannique ; elles aussi participent au ‘développement’ nigérian (voire ghanéen), en actrices des mutations qui touchent l’Afrique occidentale anglophone.

Conclusion

Suspendre l’analyse à ce moment clé du début des années 1980 est le privilège de l’historien qui peut ainsi éviter de faire entrer les sociétés dans la crise qui éclate vers 1984/1986 (frein des investissements en Afrique occidentale anglophone, contre-choc pétrolier, blocage des importations et des disponibilités en devises, institution d’un double marché des changes, effondrement du naira, poussée de la contrebande, distorsions de l’Etat de droit, etc.). Nombre de filiales de la SCOA et de la CFAO en Afrique occidentale anglophone subissent un déficit, le boum s’affaisse : le choffre d’affaires de CFAO-Nigeria s’effondre de 4,457 milliards de francs en 1982 à 2,585 milliards en 1985, les effectifs du groupe tombent au Nigeria de 5 744 en décembre 1981 à 3 795 en décembre 1985 et 3 425 en décembre 1986. Une autre Afrique naît, celle d’une ‘grande crise’ aux effets durables.

Toutefois, auparavant, les firmes françaises ont bien tiré parti de leur dynamisme entrepreneurial qui les avait incitées à prospecter l’Afrique occidentale anglophone. la filiale SCOA-NIGERIA, créée en 1968/1969 dans le cadre de la nigérianisation[34], voit son chiffre d’affaires bondir de 47 millions de nairas en 1971/1972 à 362 millions en 1980/1981, son bénéfice grossir du record précédent de 800 000 nairas en 1963/1964 (pour l’entité nigériane) à 11 millions de nairas en 1976/1977 – un naira valant alors 10 francs français. La CFAO-Nigeria, quant à elle, réalise un chiffre d’affaires de 4,074 milliards de francs en 1982, et le groupe CFAO atteint 4, 457 milliards avec ses filiales les plus proches, mais le chiffre d’affaires glisse à 2,273 milliards dès 1983 pour CFAO-Nigeria. D’après une estimation et en tenant compte des diverses filiales et entités des deux groupes dans le négoce ou l’amont du négoce, la SCOA devancerait la CFAO au Nigeria pour le chiffre d’affaires au tournant des années 1980 et se situerait au second rang des firmes de négoce derrière la grande U.A.C., la CFAO venant au troisième rang et devançant elle-même John Holt et la filiale de la firme suisse U.T.C. Les Français ont donc merveilleusement couronné leur politique de prospection au Nigeria – même si, à l’époque, les affaires ghanéennes se sont fortement contractées à cause de la nature du régime de Nkrumah. Le Nigeria est bien devenu l’eldorado rêvé !

La contribution de SCOA-NIGERIA[35] au groupe SCOA (millions de francs)(1981)

SCOA-NIGERIA
Groupe SCOA
Fonds propres
438
341 (SCOA SA, la société mère)
Actif net consolidé
370
458 (dont 148 constitués par les 40 % de SCOA Nigeria)
Profits nets cumulés issus des activités de SOCA-NIGERIA en 1972-1978 (dividendes reçus en 1972-1978 : 46,5 millions ; plus-value sur la cession de 20 % du capital en 1977 : 22,3 millions ; profits nets de la succursale de Manchester : 55 millions)
123,8
199,6

Dès les années 1970, les profits de la SCOA compensent les déficits rencontrés par de nombreuses activités du groupe SCOA à l’international ou en France même ; entre 1955 et 1975, l’entité nigérian n’a pâti que d’un seul exercice déficitaire (la Sierra Leone subissant neuf années déficitaires). Au début des années 1980, elle procure au groupe SCOA la moitié de ses profits d’exploitations, si l’on tient compte aussi des commissions d’assistance technique qu’elle verse à la société mère et de l’activité de l’agence de Manchester. Erigée en direction autonome au sein du groupe en 1981, elle est alors pour lui le levier du redressement financier espéré, sa bouée de sauvetage à une époque où il est rongé par les pertes récurrentes de ses activités européennes… : c’est l’Afrique occidentale anglophone qui doit garantir la survie du groupe français !

Cette importance décisive des entités des deux sociétés de négoce françaises active en Afrique occidentale anglophone prouve une fois de plus la vigueur de leur engagement dans ces contrées : loin d’être une excroissance du réseau construit en Afrique française puis francophone, que ce soit en Afrique occidentale ou en Afrique centrale, les implantations en Afrique anglaise puis anglophone sont devenues de véritables axes stratégiques de déploiement, des entités trapues, diversifiées, ramifiées. Le savoir-faire français s’est affirmé avec vitalité.

On pourrait même prétendre qu’il s’est affûté au contact de la vive concurrence britannique (et suisse, avec l’U.T.C.) ; si la CFAO et la SCOA ont résisté aussi vaillamment aux fluctuations conjoncturelles, puis à la crise qu’a déclenchée dans le monde du négoce le repli de l’activité de collecte des produits, c’est bien parce qu’elles ont su, dès les années 1902/1926, se risquer à affronter la compétition en Afrique anglaise, puis y trouver de quoi prospecter de nouveaux marchés et y assimiler de nouveaux métiers, en particulier dans le négoce technique et l’ensemble des activités à valeur ajoutée substantielle. Alors que l’Afrique occidentale francophone pâtissait de sa fragmentation, du plafonnement relatif de son développement, de l’autarcie de la Guinée de Sekou Toure et que seule, finalement, la Côte d’Ivoire offrait de larges perspectives d’expansion, le Nigeria et, à une bien moindre échelle, la Sierre Leone et (avec un repli dû au type d’économie adopté par Nkrumah) le Ghana, ont procuré à la CFAO et à la SCOA un vaste champ de diversification et de croissance : rater l’occasion de prospecter le marché nigérian aurait certainement bloqué leur maintien parmi le monde de la ‘grande entreprise’ – comme l’ont prouvé d’ailleurs les sociétés d’origine girondine dont l’envergure s’est amenuisée dramatiquement dans les années 1960.

La diversité des activités menées au Nigeria, l’ampleur des investissements dans des réseaux structurés de négoce technique, dans la formation d’une main-d’œuvre africaine, dans l’animation d’un corps d’expatriés abondant (surdimensionné même quand l’inflexion conjoncturelle se produit au début des années 1980), les investissements de part et d’autres du commerce de gros, dans le montage mécanique, dans la transformation de produits textiles et métallurgiques, de matières plastiques, des cuirs et peaux, sont autant de preuves de l’engagement volontariste des sociétés de négoce françaises en Afrique anglophone.

Une question plus sensible surgit alors : en quoi ont-elles contribué à un ‘développement’ durable, si l’on sait que nombre de ces investissements se disloquent dans la crise des années 1980/1990 ? que la SCOA-NIGERIA elle-même s’effondre dans la crise de sa maison mère et dans la crise nigériane pendant les années 1990 ? qu’est-il resté de ces investissements, de ces ‘boums’ successifs ? Des Africains ont été formés, en un capital immatériel qu’on ne peut nier ; la contribution du négoce à l’équipement des pays a été essentielle, en procurant les matériels et les matériaux, les prestations de services, qui étaient nécessaires pour que l’élan conjoncturel soit relayé par des ‘immobilisations’ d’une durée à moyen terme au moins. On ne peut prétendre que ces négociants auraient seulement profité des boums pour procurer aux populations d’origine européenne ou aux autochtones dotés d’un pouvoir d’achat suffisant de quoi profiter d’élans de consommation qu’on pourrait juger ‘stériles’ si l’on jouait aux Fouquier-Tinville d’une société de consommation en esquisse. Cela dit, les firmes de négoce, françaises, britanniques ou suisse, de même que les banques ou les sociétés de transit et de transport, ne sont fondamentalement que des compagnons de route de la croissance, des facilitateurs de l’expansion, qui ont servi d’outil aux firmes industrielles d’origine étrangère ou locales, à l’Etat et aux sociétés publiques, aux paysans locaux, les véritables acteurs du développement.

Notes :



[1] K.O. Dykes, Trade & politics in the Niger Delta, Oxford, Clarendon Press, 1959. C.W. Newbury, British policy towards West Africa. Select documents, 1875-1914, Oxford, Clarendon Press, 1971. L’accord du 14 juin 1898 institue la politique de la porte ouverte pour la Côte-d’Ivoire et le Dahomey, pour une durée de 30 ans. Le patron de la CFAO, Bohn se réjouit tout particulièrement de cet accord, propre à combler son goût pour une saine compétition commerciale.
[2] Sur l’histoire de l’U.A.C., Cf. D.K. Fieldhouse, Merchant capital and economic decolonization. The United Africa Company, 1929-1989, Clarendon Press, Oxford, 1994.
[3] Rapport annuel de la C.S.C.O.A., 30 juin 1885, archives historiques de la CFAO. Sur l’histoire de la CFAO, Cf. Hubert Bonin, CFAO. Cent ans de compétition (1887-1987), éditions Economica, Paris, 1987. Pour ce livre, nous avons consulté les archives de la CFAO à Paris et à Marseille, celles de la CFAO-Nigeria et recueilli de nombreux témoignages soit à Paris, soit à Lagos (au sein du groupe CFAO et auprès des concurrents), soit à Kano. Nous remercions MM. Jean-Pierre Le Cam et Paul Paoli d’avoir relu ce texte et de nous en avoir corrigé des erreurs ou des oublis.
[4] Lever achète la Niger Company dès 1920, après la Bathurst Trading (en Gambie) en 1918. Elle acquiert Pickering & Berthoud en Gold Coast et en Sierra Leone en 1926 ; puis la Niger Company et l’A.E.T.C. fusionnent en 1929 dans l’United Africa Company (U.A.C.), avant que la fusion de Lever et de Margarinie Unie en 1929 également, dans Unilever, n’élargisse encore sa force, avec l’intégration de Jürgens (filiale africaine de Margarinie Unie). Unilever contrôlerait alors plus de « 50 % des achats de produits en Guinée espagnole, Gold Coast et Nigeria », s’inquiète le CFAO en janvier 1929.
[5] Pour l’histoire de la CFAO, Cf. Hubert Bonin, C.F.A.O. Cent ans de compétition (1887-1987), éditions Economica, Paris, 1987.
[6] Cf. R. Grüpp, Le grand commerce et l’Afrique. S.C.O.A., 1945-1962, thèse de doctorat de troisième cycle, Université de Paris 7, 1983, deux volumes.
[7] Procès-verbal du conseil d’administration de la CFAO, 23 juin 1924. « Ses arrivages sont très importants, un peu inquiétant même, parce que l’excès de stock semble devoir la conduire à avilir les prix pour le réaliser ; », Ibidem. « La SCOA ne cesse d’avilir les prix, ce qui nous gêne beaucoup. Les maisons anglaises ont de graves déboires avec leurs crédits insensés », Ibidem, 19 décembre 1927.
[8] Note d’inspection au Nigeria, 26 janvier 1926.
[9] La CFAO est en fait présente à peu près dans les mêmes cités car son réseau de collecte des produits est identique à celui de la SCOA. Elle est présente néanmoins aussi à Bathurst, en Gambie. Les deux sociétés bordelaises Maurel & Prom et Maurel frères ont elles aussi alors un comptoir à Bathurst, en complément de leurs implantations dans l’Ouest de l’Afrique occidentale.
[10] Lettre de Léon Morelon, écrite d’Accra, au Siège de la CFAO, 14 mars 1947.
[11] La branche Marchandises générales de la SCOA réunit au milieu des années 1970 environ 180 salariés, à Port-Harcourt, Aba, Enugu, Onitsha, Jos, Maiduguri, Sokota, Zaria, Gusan.
[12] Ces magasins technique s’installent d’abord, dès les années 1950, à Lagos, Ibadan, Sapele, Port-Harcourt, Aba, Enugu, Onitsha, Kano et Kaduna.
[13] Cette filiale, CICA-Nigeria, n’est créée qu’en 1980, donc en plein cœur du boum et pour étayer les efforts de l’entité principale du groupe CFAO. Précisons que le Nigeria, à lui seul, absorbe 251 000 voitures en 1981 alors que l’Afrique noire occidentale francophone n’en achète que 51 000.
[14] Structor distribue des fers à béton, des aciers marchands, des tréfilés, des tôles ondulées, des fenêtres et des portes, des revêtements de sol, des tuyaux et équipements sanitaires, des produits d’étanchéité, et un assortiment complet d’appareillage électrique et de quincaillerie destinés aux entrepreneurs et professionnels de toute taille. Structec diffuse des matériels d’échafaudage et de coffrage, des matériels de chantier, des dumpers, des vibrateurs, des compacteurs, des pompes de chantier, des machines à parpaing, des adjuvants du béton. Une spécialité est le château d’eau en tôle, simple à monter par les professionnels du B.T.P.
[15] La SCOA, quant à elle, préfère dès les années 1960 abandonner l’activité Transit et consignation maritime qu’elle exerçait ; elle la regroupe dans toute l’Afrique noire avec l’activité similaire du groupe Rothschild (société SAGA), au sein de filiales communes : au Nigeria, cette entité, créée en 1968, prend comme nom UMARCO, où elle garde 20 %. Puis la SAGA reprend la participation de la SCOA en 1980.
[16] Procès-verbal du conseil d’administration de la CFAO, 6 mai 1902.
[17] Lettre de Bohn à Le Cesne, 6 février 1902 ; 15 janvier 1902.
[18] Note d’inspection au Nigeria, 26 janvier 1926.
[19] Par contre, l’agent général d’Accra doit être limogé en 1921, à cause de sa mauvaise gestion... L’agent à Conakry « n’est certes pas entreprenant. Il semble qu’il ne veut agir qu’à coup sûr et ne tient pas à s’aventurer dans des affaires nouvelles qu’il ne connaît pas, sur le résultat desquelles il n’a aucune certitude. La crainte des difficultés qui peuvent surgir l’arrête, il les juge tout de suite plus ou moins insurmontables et paraît toujours prêt à se déclarer vaincu avant même d’avoir tenté quoi que ce soit pour venir à bout des obstacles éventuels, probablement parce qu’il n’a pas celui de lutter », rapport d’inspection de la CFAO, 20 avril 1937.
[20] J. Mullier « tenait les livres et la boutique » de ce comptoir d’Ibadan et y a acquis le ba ba du métier, nous avait-il confié en 1986. Entré à la compagnie en 1938, il travaille à Ibadan en 1947-1948 puis devient second du comptoir de Lagos en 1948, avant de glisser à Cotonou comme agent.
[21] Note d’inspection du comptoir de Lagos de la CFAO, 24 janvier 1923. Lagos compte 160 000 habitants en 1939. Le pourcentage représente la part de la CFAO dans « le transit du port de Lagos, pour les importations (hors espèces, matériaux de construction et machines ».
[22] Procès-verbal du conseil d’administration de la CFAO, 1er mai 1926.
[23] « L’entente aux achats avec partage existe réellement entre les trois maisons, la politique suivie par le trio étant de laisser faire les achats par une seule maison, les autres s’effacent et font les chats à leur tour sur d’autres points […]. Inutile de vous dire qu’on nous mène la vie dure. Il y a quelques jours, l’U.A.C. payait 4/6 la mesure, alors que nous pouvions faire que 4/1 pour l’huile, d’où achats nuls. Croyant que nous avions arrêté [d’acheter], le prix fut ramené à 4/1 puis 3/9, qui étaient la parité de vos dernières cotations. Ces prix nous permirent de faire 45 ponchons, mais l’U.A.C. s’étant aperçue du nombre de ponchons, releva le prix à 4/1 […]. Dès que les achats [de la CFAO et de la SCOA] paraissent un peu importants, le prix remonte immédiatement chez l’U.A.C. La place est donc nette à Onitsha pour l’U.A.C., qui reste la seule à contrôler les transactions des produits », Letrre du comptoir d’Onitsha de la CFAO, 31 août 1931.
[24] La CFAO crée un service cuirs et peaux à Kano en 1933-1937 ; elle vend ces produits à un acheteur parisien spécialisé, Blumenthal.
[25] Bohn, président de la CFAO, à Pourrière, 18 juin 1920.
[26] La fancy shop vend tous les biens de consommation courante destinée à la décorations des habitations et des personnes ou à la vie quotidienne courante de ces dernières : bimbeloterie (perles), pièces d’horlogerie, éclairage, miroirs, cadres, etc.
[27] Entretien d’H. Bonin avec un cadre de la CFAO actif en Afrique dans les années 1940. Nous lui laissons bien entendu la responsabilité de son jugement et de ses références ; mais tout témoignage est en soi révélateur.
[28] Heineken et l’U.A.C. ont chacune un peu plus de 33 %, John Holt plus de 14 %, Paterson & Zochonis 5,5 % et l’U.T.C. 2 %.
[29] N.T.T. ferme dès le début de la crise, en 1982.
[30] N.T.M. a été créée par des Libanais nigérians en 1962, avec une forte assistance technique japonaise. La CFAO est l’un de leurs plus gros acheteurs et distributeurs dès les années 1960 ; quand les Libanais se retirent, elle reprend leur part, en 1974.
[31] Dans le Nord du Nigeria, ces couvertures rencontrent un grand succès car les Africains les utilisent pour se protéger du froid nocturne et, lors des mariages, les invités en offrent chacun une, avant que l’empilement de toutes ces couvertures serve de lit à l’heureux couple…
[32] Twin (Two Wheels Industries of Nigeria) produit des vélos en 1977, des cyclomoteurs en 1978 et des motos Kawasaki en 1980. La CFAO détient 32,75 % de son capital, Peugot y a une petite participation.
[33] Au sein de Passat, la gestion courante est assumée par le groupe allemand qui assure l’assistance technique à la firme, Voss Umlauft Ohvenhlein.
[34] Avant la vente à des intérêts nigérians de 40 % du capital en 1972, puis de 60 % en 1977/1978, date à laquelle s’effectue son entrée sur la Bourse de Lagos.
[35] Nous nous appuyons sur la thèse de R. Grüpp, livre cité.
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