Programme de recherche en histoire économique impériale
1 document associé

Programme de recherche 2005-2008
L’esprit économique impérial ?
Groupes de pression & réseaux du patronat colonial
en France & dans l’empire (1830-1970)

Le programme de recherche L’esprit économique impérial ? a souhaité reconstituer et confronter la réalité de « milieux économiques impériaux » – chambres de commerce & d’industrie, syndicats professionnels, associations patronales, institutions diverses – à Paris et dans des régions ou des cités marchandes et industrieuses, en métropole ou outre-mer. Partiellement dès le XIXe siècle quand s’esquissent des « projets de colonisation », puis surtout quand le projet de colonisation territoriale, militaire et humaine s’achève au tournant du XXe siècle, se cristallise un projet de « mise en valeur » qui s’appuie sur une « culture impériale » impliquant aussi les milieux d’affaires, leurs réseaux, leurs institutions professionnelles.

Pour une histoire des réseaux d’influence
Le programme de recherche L’esprit économique impérial ? s’est attaché à déterminer des corpus de valeurs et d’idées (« values & issues »), voire une « identité » ; à préciser des réseaux d’influence et de groupes de pression ; à apprécier la réalité et l’efficacité des moyens d’action utilisés, en particulier auprès des pouvoirs publics, du Parlement (« parti colonial », comités, législation, règles commerciales, etc.) ou des moyens d’information. Il ne s’est pas agi d’établir des prosopographies, de s’orienter vers de nouvelles tranches de récit d’investissements ou de politique d’entreprise ou de reconstituer de nouvelles histoires d’entreprise. Le programme L’esprit économique impérial ? a eu en effet pour but d’identifier des choix de politique impériale, d’accompagnement ou d’anticipation de la colonisation ; d’apprécier également la capacité d’influence du patronat engagé dans l’empire ; de préciser l’influence des Chambres de commerce & d’industrie tant en métropole que dans l’outre-mer en faveur de l’action outre-mer. Il a voulu enfin reconstituer l’évolution de l’opinion, de l’action et de l’influence du patronat et des institutions consulaires engagés dans l’empire face au mouvement de décolonisation.

Les acquis récents
Les biographies d’entrepreneurs actifs dans l’empire, de responsables politiques, industriels, financiers ou grands négociants engagés dans les affaires impériales, l’histoire d’entreprises et des monographies régionales (en métropole ou outre-mer), se sont fortement développés au sein des universités depuis trois décennies. Elles permettent de croiser les approches régionales, nationale et transocéanique pour évaluer et comprendre, à travers le prisme impérial, la pluralité et la complexité des liens qui existent entre histoire sociale, politique, économique et culturelle.

Par ailleurs, l’histoire des organisations professionnelles, de leurs réseaux et capacité d’influence, de leurs institutions représentatives, notamment les organisations consulaires (Chambres de commerce & d’industrie) s’est structurée ; elle sert désormais de levier à une compréhension des moyens d’influence et d’action du patronat, tant au sein du monde des acteurs économiques que parmi les décideurs des pouvoirs politiques nationaux et territoriaux. Elle aide aussi à apprécier l’alimentation des débats d’idées au sein du monde patronal et des élites de chaque place marchande et/ou portuaire, ou de la capitale ; elle permet de mieux dessiner les nœuds d’interconnexion en valeurs et normes culturelles au sein des élites économiques (« webs of business culture »). L’analyse du rôle de ces institutions professionnelles et patronales au sein des affaires impériales et ultramarines a constitué l’un des objectifs clés du programme L’esprit économique impérial ?

L’originalité et l’actualité
Par son insertion dans les problématiques et thématiques des études d’histoire coloniale développées en particulier en Amérique du Nord (« colonial studies ») et en Europe (réécriture des recherches sur « l’impérialisme », réévaluation des interactions économiques, sociales, culturelles entre le Nord et le Sud, etc.), ce programme s'est situé à la croisée de l’histoire économique et sociale, culturelle et politique.

Il a ainsi voulu participer aux débats sur les formes de cristallisation et de diffusion d’une « culture institutionnelle » (« cultural studies », conçues précisément ici comme une histoire des « institutions » comme levier de l’imprégnation culturelle de la société par des relais d’opinion structurés), de codes ou normes de référence communs à des communautés de pensée et d’action économiques, tant au niveau régional qu’au niveau parisien. Il s’est agi alors de préciser les « représentations » explicites ou implicites des enjeux de la « mise en valeur » économique des outre-mers au sein des milieux d’affaires, de discerner les structures et les modalités du discours patronal et institutionnel, tout en précisant si celui-ci n’était pas « surévalué » par rapport aux pratiques ou à l’intensité de l’engagement des milieux d’affaires outre-mer, voire comment s’est réalisée la « perception » de ce discours patronal ou institutionnel au sein des entités professionnelles ou interprofessionnelles. Le programme a contribué à la reconstitution du processus de définition insensible d’un capital immatériel de références culturo-économiques et d’un cadre « conventionnel » au déploiement des branches et des entreprises outre-mer, comme force d’impulsion institutionnelle et entrepreneuriale d’un « changement » économique (« institutional change ») tourné vers les champs outre-mers d’expansion économique. Ce programme s'est placé dans le sillage des réflexions sur « l’économie de convention », en particulier celle qui se structure autour de réseaux d’information et d’impulsion, ou dans celui des débats autour de « l’économie institutionnelle », notamment en discernant la cristallisation d’un environnement institutionnel de l’action des entreprises et des patronats tournés vers l’outre-mer impérial.

Plus encore, ce programme a entendu dessiner les réseaux de sociabilité et d’idées, dans la ligne des recherches sur la diffusion de valeurs communes à des milieux d’affaires (« entrepreneurial networks »). Il fallait en effet étudier la constitution de pôles d’ancrage ou de relais de ces réseaux, en tenant compte des recherches sur les notions d’enracinement sociologique et culturel (« embeddedness » ou immersion dans le milieu socioculturel et dans les réseaux d’influence) des hommes d’affaires (cf. Mark Casson, et alii). La reconstitution socio-économique du cadre de « culture » et de « valeurs » de l’action des entreprises outre-mer a donc été l’un des enjeux de ce programme d’étude afin de préciser les structures relationnelles qui contribuent à déterminer la stratégie des firmes tournées vers la mise en valeur des outre-mers impériaux. Il s’est agi de mesurer l’intensité d’une éventuelle « sub-culture » que le monde des affaires tourné vers l’économie impériale aurait pu nourrir au sein du capitalisme et du patronat français et de préciser les interactions entre ce capitalisme général et le capitalisme ultramarin ; il fallait aussi confronter cette « sub-culture » impériale à la culture patronale classique et préciser leurs différences ou leurs complémentarités.

L’insertion dans les courants d’étude tournés vers la « sociologie économique » définis depuis le tournant des années 1990 explique l’appel effectué à des analyses socio-économiques, pour déterminer les rapports de forces au sein du monde patronal, la capacité à orienter la politique des firmes en fonction de conceptions économiques impériales et de la cristallisation de groupes sociaux spécifiques au sein du monde des affaires. Le programme a notamment précisé comment ces groupes ont pu définir et conduire des stratégies de déploiement orientées vers les marchés des outre-mers en comparaison avec d’autres marchés potentiels en fonction des déterminants socioculturels et relationnels (logique : « markets from networks ») (cf. M. Granovetter et alii).

La question a été posée de la construction d’un « système socio-économique » en quête de son « modèle de stabilité » – propre à structurer des stratégies durables d’investissement outre-mer autour de marchés de configuration stable ou espérée telle (surtout dans les années 1920-1960). Des aires géographiques et capitalistes de développement dynamique et d’esprit d’entreprise ont pu par conséquent prendre forme grâce à ces perspectives et élargir le cadre structurel du capitalisme français par le biais de ces « poches » de croissance, avec des degrés plus ou moins variables d’ouverture à la compétition, celle-ci pouvant d’ailleurs évoluer au gré de l’influence des groupes de pression auprès des pouvoirs publics.

Le programme de recherche a aussi participé aux courants de recherche qui relient l’histoire économique et l’histoire politique, par le biais de l’histoire des groupes d’influence (cf. les travaux de J. Garrigues, longtemps après ceux de H. Ehrmann, J. Meynaud ou J. Lautman). Il s’est associé à la relance de l’histoire du monde patronal, de ses contours socio-mentaux et culturels, de son insertion institutionnelle, de son rôle dans la Cité. Enfin, il s’est attaché à la collecte des « signes » (ou du « signifiant ») qui, dans les mots des discours et écrits des hommes d’affaires, ou dans les images des affiches ou des expositions parrainées par le monde des affaires, traduisent la construction d’un capital cognitif constituant l’environnement socio-mental de l’opinion ou du moins des prescripteurs d’opinion.

Des pistes d’analyse comparative ont été développées à l’échelle européenne pour confronter la réalité d’un « esprit économique impérial » et des réseaux d’influence au sein de chaque grande économie tournée vers les empires ultramarins.

La responsabilité de ce programme a été portée par :
· Hubert Bonin, professeur à Sciences Po Bordeaux ; membre de l' École doctorale de sciences économiques et du centre de recherche UMR 5113 GRETHA-Université Montesquieu-Bordeaux 4) [h.bonin@sciencespobordeaux.fr]
· Catherine-Hodeir Garcin, Université d’Amiens ; chercheur associé à l’IDHE (Institutions & dynamiques historiques de l’économie ; CNRS, Paris 1, Paris 8, Paris 10, ENS de Cachan) ; maître de conférence à Sciences Po Paris [hogar@noos.fr]
· Jean-François Klein, maître de conférences à l’INALCO ; chercheur au Centre Roland Mousnier de l'Université Paris 4-Sorbonne et associé à l’Institut de recherche sur le Sud-Est asiatique [irsea-cnrs], Paris [jeanfrancoisklein@yahoo.fr]

Le point d’ancrage institutionnel du programme de recherche a été pluriel, car son parrainage a été assuré par
· La Société française d’histoire d’outre-mer (SFHOM) (professeur Hélène d’Almeida-Topor) ;
· L’INALCOo (professeurs Gilles Delouche, ancien président, et Jacques Legrand, président ; Jean-François Klein, maître de conférences) ;
· Le Centre Montesquieu d’histoire économique-Bordeaux 4 (ifrede-gres) ; puis l'UMR 5113 GRETHA-Université Montesquieu-Bordeaux 4;
· Le pôle de recherche Colonisation & décolonisation, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3 (professeur Singaravelou) ;
· L’Institut d’études africaines (umr 6124), Université de Provence-Aix-Marseille (professeur Colette Dubois) ;
· Le lahra (umr 5190), Université de Lyon 2 (professeur Claude Prudhomme) ;
· L’École doctorale d’histoire de l’Université de Paris 4-Sorbonne (professeur Jacques Frémeaux) ;
· L’Institut d’études politiques de Bordeaux ;
· L’Université Montesquieu-Bordeaux 4.

Le calendrier
Lancé au printemps 2004, le programme de recherche L’esprit économique impérial ? (1830-1970) aura abouti à deux ateliers :
· Un premier atelier a eu lieu à Paris, les 3 et 4 mars 2006 : il a regroupé les communications concernant l’esprit impérial en région (France métropolitaine et France d’outre-mer).
· Un second atelier a eu lieu à Bordeaux les 23, 24 et 25 novembre 2006 (dans le cadre du projet Colonisation & Décolonisation du professeur Singaravelou, de l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3), en association avec l’Université Montesquieu-Bordeaux 4 (Centre Montesquieu d’histoire économique-ifrede ; Centre d’étude d’Afrique noire-iep-cnrs) : il a regroupé les communications concernant l’esprit impérial au niveau national.

· L’équipe de participants à ce programme a regroupé des chercheurs confirmés et des doctorants, dans un souci de large ouverture aux recherches en cours ou récemment effectuées.
· Plusieurs discutants français, spécialistes en histoire des outre-mers, ont été invités à une évaluation des démarches ainsi suivies afin de susciter des analyses comparatives et des perspectives d’étude, en un rôle de discutants.
 

Publication des actes des deux colloques

Les actes des deux ateliers ont été publiés en février 2008 dans un ouvrage de la collection des Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer (SFHOM). Ces actes ont évidemment tenu compte des acquis des débats nourris lors des deux ateliers et de l’apport critique des discutants. Ils présentent une solide introduction problématisante, une grosse historiographie thématique, et deux conclusions, dont l'une ouvre des pistes nouvelles vers d'autres projets de recherche.

Site internet
Les informations sur ce programme sont disponibles sur le site internet :
www.sfhom.com
http://espritimperial.free.fr

Les prolongements du programme

D'autres pistes de recherche sont en cours de développement pour apprécier la force économique et la capacité d'influence des entreprises actives dans les outre-mers (voir les autres entrées de ce site)

© 2006 esrpritimperial.free.fr          -          maître de site : Hubert Bonin [administration]